Mercure de France

Mercure de France, septembre 1742, p. 2072

Mercure de France, septembre 1742, p. 2072

« LE 11. Septembre, l’Académie Royale de Musique remit au Theatre la Tragédie d’Hipolite & Aricie.

Cette Tragédie fut mise au Theatre pour la premiere fois le premier Octobre 1733. & on en donna un Extrait dans le Mercure du même mois, pag. 2235. auquel nous renvoyons ; mais comme les Auteurs y ont fait des changemens considerables, nous ne croyons pas pouvoir nous dispenser d’en faire part au Public.

On a refondu la seconde Scene du premier Acte ; elle a été généralement aplaudie. La voici telle qu’on la jouë présentement.

SCENE II.
HIPOLITE, ARICIE.
HIPOLITE
Princesse, quels aprêts me frapent dans ce Temple.
ARICIE
Diane préside en ces lieux :
Lui consacrer mes jours, c'est suivre votre exemple. 
HIPOLITE
Non ; vous les immolez ces jours si précieux.
ARICIE
J’exécute du Roy la volonté suprême ;
A Thesée, à son Fils, ces jours sont odieux.
HIPOLITE
Moi, vous haïr ! O ciel ! quelle injustice extrême !
ARICIE
Je ne suis point l’objet de votre inimitié !
HIPOLITE
Je sens pour vous une pitié
Aussi tendre que l’amour même.
ARICIE
Quoi ? le fier Hipolite…
HIPOLITE
Helas !...
Je n’en ai que trop dit ; je ne m’en repens pas.
Si vous avez daigné m’entendre,
Mon trouble… mes soupirs… vos malheurs…vos apas…
Tout vous annonce un cœur trop sensible & trop tendre.
ARICIE
Ah ! que venez-vous de m’aprendre ?
C’en est fait ; pour jamais mon repos est perdu.
Peut-être votre indifference
Tôt ou tard me l’auroit rendu ;
Mais votre amour m’en ôtes l’esperance.
C’en est fait ; pour jamais mon repos est perdu.
HIPOLITE
Qu’entends-je ? quel transport de mon ame s’empare !
ARICIE
Oubliez-vous qu’on nous sépare ?
Dans ce Temple fatal quel sort sera le mien ?
Hipolite amoureux m’occupera sans cesse,
Et j’y regretterois mon bonheur & le sien ;
Hipolite amoureux m’occupera sans cesse ;
Et des Autels de la Déesse,
Je sentirai mon cœur revoler vers son bien
HIPOLITE
Je vous affranchirai d’une loi si cruelle.
ARICIE
Phédre sur mon destin a des droits absolus.
Que sert de nous aimer ? nous ne nous verrons plus.
HIPOLITE.
O Diane, protege une flâme si belle.
ENSEMBLE
Tu regnes sur nos cœurs, comme dans nos forêts ;
Pour combattre l'Amour, tu nous prêtes des armes ;
Mais quand la vertu même en vient lancer les traits,
Qui peut résister à ses charmes ?

Le reste de ce premier Acte subsiste tel qu’il étoit, on en a seulement retranché deux petits Scénes d’exposition, qu’on avoit d’abord jugées nécessaires, mais dont on a crû pouvoir se passer, à la faveur de six Vers qu’on a placés au commencement du troisiéme Acte. Les voici.

ACTE III. SCENE I.
PHEDRE, ÆNONE
PHEDRE
Mes Destins sont changés ; Arcas m’a fait entendre
Que sur les sombres bords le Roy vient de descendre.
Je suis Maîtresse de mon sort ;
A l’ingrat Hipolite offrons le diadême ;
Mais si l’éclat du rang suprême
Ne peut rien sur son cœur, je n’attends que la mort.

Tout le reste de cet Acte subsiste.

ACTE IV. SCENE II.
HIPOLITE, ARICIE
ARICIE
C’en est donc fait, cruel, rien n'arrête vos pas ;
Vous désesperez votre Amante.
HIPOLITE
Ah ! laissez-moi partir, Princesse trop charmante ;
Je sens mieux mon malheur en voyant tant d’apas.
ARICIE
Quoi ? l'inimitié de la Reine
Vous fait-elle quitter l'objet de votre amour ? 
HIPOLITE
Non ; je ne fuirois pas de ce fatal séjour,
Si je n'y craignois que sa haine. 
ARICIE
Que dites-vous ?
HIPOLITE
Gardez d'oser porter les yeux
Sur le plus horrible mystere ;
Le respect me force à me taire ;
J'offenserois le Roy, Diane, & tous les Dieux. 
ARICIE
Ah ! c'est m'en dire assés. O crime !
Mon cœur en est glacé d'épouvante & d'horreur.
Cependant vous partez ; & de Phedre en fureur
Je vais devenir la victime.
Dieux, pourquoi séparer deux cœurs
Que l’Amour a faits l’un pour l’autre ?
Eh ! quelle autre main que la vôtre,
Si vous m’abandonnez, peut essuyer mes pleurs ?
Dieux, pourquoi séparer deux cœurs
Que l’Amour a faits l’un pour l’autre.
HIPOLITE
Et bien ? daignez me suivre.
ARICIE
Ô ciel ! que dites-vous ?
Moi, vous suivre !
HIPOLITE
Cessez de croire
Que je puisse oublier le soin de votre gloire ;
En suivant votre Amant vous suivrez votre Epoux.
Venez… quel silence funeste ?
ARICIE
Ah ! Prince, croyez-en l’Amour que j’en atteste.
Je ferois mon suprême bien
D’unir votre sort & le mien :
Mais Diane est inexorable
Pour l’Amour & pour les Amans.
HIPOLITE
A d’innocens desirs Diane est favorable ;
Quelle préside à nos sermens.
ENSEMBLE
Nous allons nous jurer une immortelle foi ;
Viens, Reine des Forêts, viens former notre chaîne ;
Que l'encens de nos vœux s'éleve jusqu'à toi ; 
Sois toujours de nos cœurs l'unique Souveraine.

On a critiqué le cinquiéme Acte ; on auroit voulu y revoirThesée ; mais ce n’a pas été la faute de l’Auteur du Poëme : ce défaut qu’on a jugé nécessaire pour le raccourcir, ne se trouve pas dans les premieres Editions ; Thesée instruit par Phedre mourante, de l’innocence de son Fils, veut se précipiter dans la Mer ; Neptune, son pere, s’opose à son désespoir & le calme en lui aprenant que Diane a sauvé son cher Hipolite. Au reste, cet Opera est fort bien reçû du Public & a un très grand succès. Le Sieur Chassé & la Demoiselle le Maure s’y font également admirer. »