Mercure de France

Mercure de France, décembre 1754, p. 190

Mercure de France, décembre 1754, p. 190

« Ce ne fut que le Samedi 12 que l’Opéra commença ses premieres représentations. Le théatre de Fontainebleau n’a été fait que pour y jouer la Comédie, & l’espace qu’il occupe est resserré par de gros murs, dont l’extérieur tient à la décoration générale du Château : mais les recherches & les efforts de l’art ont surmonté les obstacles qui naissoient de la petitesse forcée du local ; & le théatre, tout resserré qu’il est, a été mis en état de fournir au jeu des différentes machines que l’exécution de l’Opéra François exige.

L’ouverture de ce spectacle fut faite par une premiere représentation de la Naissance d’Osiris, ballet allégorique nouveau, en un acte ; de l’acte des Incas, un de ceux des Indes galantes, & de Pigmalion.

Ces deux derniers ouvrages sont déja fort connus & dans une possession constante de plaire : il suffit de dire à leur égard qu’ils furent parfaitement rendus par M. de Chassé, qui étoit chargé du rolle de l’Inca ; par Mlle Chevalier, qui représentoit celui de Phanny ; & par M. Jeliote, qui jouoit le rolle de Pigmalion.

Mais nous croyons devoir entrer dans le détail du premier, dont M. de Cahusac, de l’Académie royale des Sciences & Belles-Lettres de Prusse, & M. Rameau sont les auteurs.

Extrait de la Naissance d’Osiris, ou la Fête Pamilie.

La naissance de Monseigneur le Duc de Berry, les différens spectacles qu’on préparoit pour leurs Majestés, les cris de joie d’un peuple heureux du bonheur de ses maîtres, voilà ce que l’auteur de ce ballet nouveau paroît s’être proposé de peindre par une allégorie. On n’a point la ressource des louanges directes auprès d’un Roi aussi modeste que bienfaisant.

Une femme de Thebes, nommée Pamilie, en sortant du temple de Jupiter, entendit une voix qui lui annonçoit la naissance d’un héros qui devoit faire un jour la félicité de l’Egypte. C’étoit Osiris, qu’elle éleva, & qui fut dans les suites un des plus illustres bienfaiteurs de l’humanité. Pour conserver la mémoire de cet événement, les Egyptiens instituerent la Fête Pamilie, dans laquelle on avoit le soin de le retracer, & c’est sur cette ancienne fable que M. de Cahusac a bâti la sienne.

Le théatre représente le devant du temple de Jupiter. Une troupe de bergers célebre par leurs danses & leurs chants la paix dont ils jouissent. Pour être parfaitement heureux, il ne leur manque qu’un seul bien : mais, disent-ils,

Chaque instant vole & nous l’amene.

C’est dans ce premier divertissement que Mlle Fel, qui représentoit le rolle de Pamilie, chantoit cette Ariette, dont le chant simple exprime d’une maniere si neuve la naïveté des paroles.

Non, non, une flamme volage
Ne peut me ravir mon berger ;
Ce n’est point un goût passager
Qui nous enchaîne & nous engage.
Qui pourrait l’aimer davantage ?
Que gagneroit-il à changer ?

Tout à coup un bruit éclatant de tonnerre trouble la fête. Les bergers s’écrient du ton dont M. Rameau sçait peindre les grands mouvemens.

Jupiter s’arme de la foudre ;
Son char brulant s’élance & roule dans les airs.
Quels coups redoublés ! quels éclairs !
O Dieux ! le feu du ciel va nous réduire en poudre.

Pendant ce chœur, la danse (qu’il ne doit pas être permis à M. de Cahusac de laisser oisive ou inutile dans ses ballets), formoit des tableaux rapides d’effroi, qui donnoient une force nouvelle à cette situation.

Cependant les bergers effrayés & prêts à partir, sont retenus par le Grand Prêtre du Dieu dont ils redoutoient la colere. Rassurés par sa présence & par ses discours, une nouvelle harmonie les frappe & les arrête. Ce sont des éclats de tonnerre mêlés de traits de symphonie les plus mélodieux. Le ciel s’ouvre ; Jupiter paroît dans tout l’éclat de sa gloire, ayant à ses pieds les graces & l’amour, & il dit :

Qu’il est doux de regner dans une paix profonde !
Que le sort aux mortels prépare de beaux jours !
Rien ne peut plus troubler le ciel, la terre, & l’onde :
L’amour qui me seconde,
De leur félicité vient d’assûrer le cours.
Il est né, ce héros, que vos vœux me demandent &c.

Les bergers lui répondent par un chœur d’allégresse ; les Prêtres lui rendent hommage par leurs danses, & Pamilie & son berger lui adressent les vers suivans.

ENSEMBLE
Paroissez, doux transports, éclatez en ce jour
Aux regards d’un Dieu qui nous aime.
PAMILIE
L’éclat de la grandeur suprême
Le flate moins que notre amour.
ENSEMBLE
Il bannit loin de nous la discorde & la guerre :
Offrons-lui tous les jeux que rassemble la paix.
PAMILIE
Qu’il jouisse de ses bienfaits,
En voyant le bonheur qu’il répand sur la terre.

Jupiter alors s’exprime ainsi :

Mortels, le soin de ma grandeur
Au séjour des Dieux me rappelle ;
Mais la terre est l’objet le plus cher à mon cœur :
Je lui laisse l’Amour. Il en fait le bonheur ;
Que sans cesse il règne sur elle.

Au moment qu’il remonte dans les cieux, l’Amour & les Graces descendent sur la terre. Les Bergers les environnent ; mais l’Amour qui veut lancer ses fléches sur eux, les effraye. Une jeune Bergere affronte le danger, & lui résiste : il la poursuit ; il est sur le point de l’atteindre, lorsqu’elle a l’adresse de lui ravir la fléche dont il vouloit la blesser. Déjà la Bergere triomphe ; mais l’Amour saisit un nouveau trait. Ils levent tous deux le bras, & sont prêts à se frapper, lorsque Pamilie les sépare, en disant :

Régne, Amour, sans nous alarmer ;
Quitte tes armes : tout soupire.
Tu n’as besoin pour nous charmer,
Que de folâtrer & de rire, &c.

Ce premier tableau de danse, exécuté par Mlle Puvigné, représentant la Bergere, & Mlle Catinon, représentant l’Amour, ne pouvoit pas manquer de produire un effet agréable, & il en amenoit naturellement un second, qui termine fort heureusement cette fête.

L’Amour se laisse désarmer : les Graces lui présentent des guirlandes de fleurs. Il leur ordonne d’en faire des chaînes pour les Bergers, & il en prend une qu’il offre à la jeune Bergere : elle la reçoit avec ingénuité, & dans le moment que l’Amour y songe le moins, elle en forme une chaîne pour lui-même. Tous les Bergers alors les entourent & les reconduisent, comme en triomphe, hors du théâtre.

Tel est ce ballet allégorique, dont la simplicité de l’action, l’analogie du fait antique avec les circonstances du moment, le choix des personnages, concourent pour en rendre la composition heureuse, & l’application facile. »