Correspondance littéraire (Grimm)

Correspondance littéraire […] depuis 1753 jusqu’en 1769, par le baron de Grimm, 1ère partie, Tome 1, 1753, p. 188

Correspondance littéraire […] depuis 1753 jusqu’en 1769, par le baron de Grimm, 1ère partie, Tome 1, 1753, p. 188

« M. Rameau n’a pas cru devoir garder le silence dans la fameuse querelle de la musique, il vient de nous donner des observations sur notre instinct pour la musique et sur son principe. Les moyens de reconnaître l’un par l’autre conduisent à pouvoir se rendre raison avec certitude des différens effets de cet art. Après un titre aussi claïr, vous êtes le maître de lire cent vingt-cinq mortelles pages où l’auteur répète ce qu’il a dit dans ses ouvrages de théorie, et où il croit avoir réfuté ce que M. Rousseau a dit dans sa lettre sur la musique française, du monologue d’Armide mis en musique par l’insipide et plat M. de Lully. Ce radotage du premier musicien de la nation manquait au triomphe de M. Rousseau dont la fameuse lettre est restée sans réponse, malgré cinquante libelles qu’on a fait contre l’auteur. Ce qu’il y a de fâcheux, c’est que M. Rameau nous prouve clairement qu’il n’a jamais songé qu’à faire de l’harmonie, croyant faire de la musique, et que s’il a fait de belles choses dans un genre que je crois fort mauvais, c’est sans s’en douter et sans connaître son vrai mérite. Une des conséquences les plus naturelles de ses principes est, que pour faire de la musique, il ne faut rien moins que du génie, et si M. Rameau a raison, chaque petit musicien sera capable de faire les plus belles choses du monde, dès qu’il aura acquis du savoir et la science des accords. M. Rameau ressemble parfaitement à un maçon ou à un charpentier qui, en faisant une savante dissertation sur la façon de tailler les pierres, ou en raisonnant profondément sur la coupe des planches, croiraient nous avoir mis en état de juger de la beauté d’un édifice. »